La France est-elle vraiment une démocratie ?
« La démocratie se confond exactement, pour moi, avec la souveraineté nationale. La démocratie c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave » disait Charles de Gaulle, le 25 mai 1942. Avant tout, posons la question, qu'est ce que la démocratie au juste ? On peut entendre bien des définitions ; mais réduisons l'éventail. Étymologiquement, cela signifie le pouvoir du peuple, et ce qui manifeste concrètement ce pouvoir, c'est la loi. Dans un régime démocratique, le peuple a le pouvoir de légiférer directement. Dans la République française, cette capacité est déléguée à des élus : députés et sénateurs. C'est donc au sein du parlement que s'exprime la démocratie, du moins en théorie...
Magouilles et compagnie ?
La démocratie peut s'exprimer à travers le référendum : « une procédure permettant de consulter directement les électeurs sur une question ou un texte. Il peut être de portée nationale ou locale. » A noter que le dernier en date remonte tout de même au 29 mai 2005. A l'époque, la question posée aux Français portait sur le traité établissant une constitution pour l'Europe. Les Français avaient dit "non" à 54,67 % ; mais plus tard, cette expression démocratique fut finalement ignorée par le gouvernement Sarkozy qui fit ratifier le traité de Lisbonne le 8 février 2008. On pourrait objecter que c'est le parlement qui a choisi de ratifier ce traité, donc la démocratie indirecte. Cependant les membres constituant l'Assemblée nationale et le Sénat sont-ils vraiment représentatifs de leurs électeurs ? La sagesse populaire – et même très populaire – dit souvent des politiques : « tous des pourris », ou encore : « la politique, c'est magouilles et compagnie ».
En substance, ce n'est pas totalement faux. Un exemple avec la loi sur le quinquennat datant de 2000. Ne soyons pas trop de mauvaise fois, rappelons que le peuple a été consulté. A la question de savoir s'il fallait écourter le mandat du président de la république à cinq ans, la réponse fut "oui" à 73,21 %. Il est à croire que les Français ont eu une réflexion simple et pragmatique consistant à se dire : « si c'est un
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mauvais président, il restera moins longtemps au pouvoir ». Cela était sans compter les rouages de la politique et un rebondissement avec l'ajout de la loi organique du 15 mai 2001, instaurant que les élections législatives se tiennent juste après l’élection présidentielle. Le projet de loi du quinquennat était complet, et révélait pleinement son but : éviter les cohabitations (Jacques Chirac en avait fait les frais) et présidentialiser un peu plus la république.
Le successeur du président Chirac, Nicolas Sarkozy a profité de la situation. Durant sa campagne de 2007, il représentait alors un mélange d'homo novus et de self-made man de la politique. Et parvint à conserver une majorité absolue de droite à l'Assemblée.
En considérant la gestion économique et sociale du président et en s'amusant à la politique fiction, on pourrait s'imaginer que si une élection législative avait eu lieu pendant son mandat, il aurait été fort probable que l'Assemblée nationale aurait été redéfinie avec, pourquoi pas, une nouvelle cohabitation.
Nicolas Sarkozy n'a pas été réélu, et c'est le socialiste François Hollande qui devint le nouveau locataire de l’Élysée. Lui aussi, se vit accorder la confiance du peuple avec des législatives favorables à son parti. L'état de grâce ne dura pas, ou n'a même jamais vraiment existé avec ce nouveau président. En sus, des « frondeurs » socialistes se dressèrent contre la politique économique du gouvernement. Pour Hollande et ses ministres, il n'y avait pas le choix. Pour faire passer leurs réformes, il fallait utiliser la carte ultime, celle inscrite dans la constitution, l'article 49,3. Du coup, pas de votes à l'Assemblée, le gouvernement engageait sa responsabilité – ou son irresponsabilité, c'est selon. Une ordonnance royale en quelque sorte. François Hollande en eut recours à six reprises.
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Comme respect de la démocratie, il y a mieux. Le président Hollande, rejeté par son propre parti et largement impopulaire ne se représenta pas et laissa la place à son ex ministre de l'économie, Emmanuel Macron. En jeune homme ambitieux, il quitta le navire à temps pour fonder son propre mouvement : « La République En Marche » positionné au centre de l'éventail politique. Jouant sur le "dégagisme" souhaité par les Français, et constituant une solide stratégie marketing et politique sur sa propre personne, il parvint à se faire élire le 7 mai 2017. Aux législatives qui suivirent, "La République En Marche" obtint la majorité absolue avec 308 sièges à l'Assemblée. Tout semblait aller pour le mieux pour le président jupitérien qui n'avait aucun frein pour appliquer son programme. Hélas pour lui, ses décisions économiques et sociales autant que sa pratique du pouvoir créèrent l'ire des « gilets jaunes ». Une manifestation citoyenne spontanée et répétée chaque week-end pour dénoncer le coup de la vie, la précarité, l'inégalité ; mais aussi pour signifier le rejet profond de la personnalité d'Emmanuel Macron. On a vu des gilets jaunes faire des simulacres d’exécution sur des poupées et des marionnettes à l’effigie du président. Les gilets jaunes témoignaient du sentiment que la démocratie échappait aux Français et qu'il fallait la reprendre en main.
Nous allons nous répéter mais peut-être encore qu'une élection législative à mi-mandat aurait pu désamorcer cette crise... Finalement, c'est moins les « mesurettes » du gouvernement que la crise sanitaire qui a tempéré les velléités des gilets jaunes. De plus en plus, la présidence de Macron ressemblait au règne de pharaon subissant les plaies sur son royaume. Malgré les déboires, Macron parvint à se faire réélire encore une fois devant la cheffe du Rassemblement National : Marine Le Pen. Une victoire certes, mais une victoire
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à la Pyrrhus si l'on considère la partition de l'Assemblée nationale. Le parti présidentiel n'a plus la majorité absolue ; mais relative et doit composer avec la Nupes (rassemblement de la gauche), le RN, et les Républicains. Une Assemblée peut-être plus représentative des idées politiques des Français ; malgré une forte abstention (52,2%) qu'il faut noter. C'est un désintérêt pour la démocratie représentative qui se creuse encore parmi les citoyens.
La pertinence du parlement se pose du fait du 49.3 permettant de court-circuiter les débats et d'imposer les lois. Le gouvernement actuel en a fait usage 10 fois en quelques semaines. C'est sans compter aussi sur l'article 47.1 qui permet d'écourter les débats. Cela dans le contexte « explosif » de la réforme des retraites.
En soi, ce simple article 49.3 de la Constitution illustre bien la présidentialisation souhaitée par Charles de Gaulle. Cette Constitution était taillée pour être à la mesure du général. Garantissant un pouvoir fort au président. Les citoyens élisant un roi, et c'est là que l'on rejoint la « monarchie républicaine » dont parlait Maurice Duverger.
Pourtant, il y a quelque chose de plus inquiétant que la tendance monarchique de notre régime dit « républicain ». Une perte de sens des institutions démocratiques, comme s'il est admis que le vote ne sert à rien, que la politique est confisquée. L'idée que ceux qui font la politique sont soit carriéristes, soit au pire, corrompus et affidés aux plus riches. Pour mediapart par exemple, le régime politique français tend vers la ploutocratie. Une ploutocratie à forte tendance présidentielle alors... Libre à chacun de se faire son opinion.
La réponse à notre question
Nous n'avons que partiellement répondu à notre question : la France est-elle vraiment une démocratie ? C'est une monarchie républicaine assurément avec un exécutif fort et peut-être trop fort. Les seules composantes démocratiques résident dans le vote qui n'a plus beaucoup de sens pour nombre d'abstentionnistes. La démocratie est le pouvoir du peuple : mais quels pouvoirs les citoyens ont-ils ? Bien peu. On peut bien évoquer la liberté d'expression pour critiquer le pouvoir, mais pour quels résultats : « La dictature c’est “ferme ta gueule” ; la démocratie c’est “cause toujours” » dixit Coluche. Il reste le recours à la manifestation et aux grèves pour tenter de contrer les décisions du gouvernement. Nous avons parlé plus haut des gilets jaunes, mais les résultats de leurs actions sont bien maigres. Y a-t-il plus de démocratie directe ? Une inflation jugulée et une redistribution des richesses ? Clairement non, et en ce début de février 2023, les aspirations sur ces questions se cristallisent à nouveau sur le brûlant sujet de la réforme des retraites.
Non, la France n'est pas véritablement une démocratie, elle en contient seulement des éléments qui tendent à s'appauvrir. Le contre-pouvoir représenté par le parlement est d'une très faible efficacité. L'usage abusif du 49.3 reste autoritaire et un piétinement des règles démocratiques et cela même s'il est inscrit dans la Constitution. Disons le, la Vème république s'est muée en un régime dolosif potentiellement capable de devenir une dictature qui ne dit pas son nom, si tant est que cela ne soit pas déjà le cas...